Du recueillement, de l’émotion, des messages de force et des débats… L’Education nationale était piquée ce lundi 16 octobre par la commémoration de professeurs assassinés. À Nîmes, les paroles de professeurs lors d’un rassemblement devant la préfecture témoignent d’un malaise face à certaines réalités.
Après les discours, l’heure est aux bavardages. L’occasion parfaite pour poser son micro. Plusieurs professeurs l’annoncent alors : « ils ne se sentent pas de s’exprimer sur le sujet ». D’autres osent : « Tout est exacerbé, les phrases, les mots peuvent prendre une ampleur démesurée, mais il ne faut pas se tromper de débat : un prof en France tué parce qu’il était prof en France », lâche ce professeur.
Un autre reprend. « Je pense que ces drames devraient être évités, nous ne sommes pas les seules professions exposées à la violence gratuite. Ce sont toujours des parcours de gens fracassés, de familles éclatées, qu’on a laissés se radicaliser. Il y a plein de moments où des choses pourraient être faites, plus apaisées », dit Christine.
Que faire de plus ? Ce lundi, des militaires vadrouillaient devant les lycées dans toute la France. L’état d’urgence attentat est en place depuis dimanche. L’idée de portique de sécurité devant les établissements fait son chemin dans le débat public.
Un assassinat dans un contexte tendu
« Depuis vendredi, on est frappé, il y a de la sidération, de la lassitude, plein de sentiments mélangés », exprime Vincent Bouget, professeur d’histoire géographie au lycée Philippe Lamour et chef d’opposition à gauche de la municipalité nîmoise. Mais, « il ne faut pas se laisser gagner par la peur, il faut continuer à faire ce qu’on fait, essayer d’éclairer les esprits, donner les clés de la compréhension du monde à nos élèves ».
Parle-t-on encore de l’assassinat d’un professeur français en France ? Difficile à dire, car c’est bien un contexte sociétal et mondial dans lequel les professeurs sont plongés. L’assassinat de Samuel Patty il y a trois ans et celui de Dominique Bernard vendredi dernier sont mis sur le dos d’un mal nommé « terrorisme islamiste ».
Elle y met un point d’honneur. « Je suis ravie d’entendre qu’on parle de terrorisme islamiste, parce que c’est la vérité et nous devons résister et être là. Nous devons ne pas céder, car nous sommes élus de la République, et il y a des valeurs à transmettre à tous ces enfants », dit Véronique Gardeur-Bancel.
Adjointe municipale déléguée à l’Éducation, elle annonce un combat parfois difficile contre cet obscurantisme. En témoigne, selon elle, « une fronde de plusieurs parents d’élèves relayée par des professeurs » contre la décision du maire de rebaptiser une école sous le nom de Samuel Paty. « Cela nous a paru inadmissible. Monsieur le maire n’a rien cédé », raconte-t-elle.
«Débats hystérisés»
« Ne pas tout confondre », c’est parfois plus difficile à dire qu’à faire pour les professeurs. C’est à eux, sous l’autorité de l’Éducation nationale, de sensibiliser les élèves, de parler de ces événements retentissants à une actualité mondiale, aujourd’hui marquée par la guerre au Proche-Orient. « L’impression de marcher sur des œufs », raconte ce professeur d’expérience. Il y a des cours plus difficiles et sensibles que d’autres : expliquer la Shoah ou le conflit israélo-palestinien par exemple. « Tout est exacerbé, toute phrase ou mot peut prendre une ampleur démesurée. Ca sert d’élément déclencheur à un état de tension qui déborde ».
« Ce sont des sujets qui sont sensibles dans la société, c’est complètement logique qu’ils soient sensibles dans l’école. On pense que l’école est à part dans la société, mais l’école est pleinement dans la société. Tous viennent avec leur vécu, leur sentiment, leur appréciation. C’est un sujet pas réglé dans la société et très conflictuel. À nous d’apporter de la raison sur des choses très sensibles, à nous de raisonner », dit Vincent Bouget.
Le problème, c’est que « cette société » ne les aide pas. Sous la casquette de l’enseignant, le chef de l’opposition nîmoise pointe du doigt « les débats médiatiques hystérisés » et les réseaux sociaux. « Tout l’inverse de ce que nous faisons en cours ». De l’utilisation du mot « terrorisme » aux interdictions de manifestations de soutien à Gaza, les professeurs doivent aussi expliquer une politique laissant peu de place à certaines expressions.
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