En prévision des beaux jours, ils souhaitent retrouver leurs éclats d’antan. En plein hiver, voiliers, péniches, chalutiers, et autres navires trouvent réconfort au Chantier naval Spano. Cet atelier familial, installé depuis 1946, est spécialisé dans la rénovation de bateaux en bois pour des navires qui datent parfois d’un autre temps.
L’air frais est là, malgré le soleil. De quoi illuminer le Port du Grau-du-Roi, où les touristes s’installent sur les terrasses le temps du weekend. Dans le paysage, un navire est particulièrement remarquable : rouge, typique, ce bateau à roue de 27 mètres de long appartient au décor camarguais.
Le Tiki III se refait une beauté. Habituellement, ce bateau est plutôt vu du côté des Saintes-Maries-de-la-Mer où il fait découvrir le paysage local à quelque 150 touristes embarqués à travers les canaux camarguais. « Ce bateau on le sort une fois par an, ils vont y mettre des arbres d’hélice », dit celui que tout le monde ici appelle « Tintin », Florentin Spano.
Un travail à l'ancienne, avec imagination
Des bateaux comme celui-ci, il en a vu défiler tout au long de sa vie. Parfois pour des chantiers bien plus fastidieux. « Couper des bateaux, les rallonger, faire des culs carrés, des cabines, de gros boulots… », liste cette figure bien connue du port. « On commandait l’arbre et on taillait tout. Il n’y avait pas de plan, le plan c’est mon imagination et ce magazine juste là », plaisante-t-il en montrant des posters de mannequins dénudées accrochés au mur de l’atelier.
Aujourd’hui, Tintin laisse petit à petit place à la relève. Son fils Vincent s’occupe du gros boulot avec leur employé depuis 2 ans, Théo. Ce dernier s’active ce matin pour repeindre le bateau datant de 1942 d’un client. « Grattage de moules, carénage, ponçage, peinture. Si on remarque un trou, on enlève la planche de bois abîmée, on en refait une à l’identique et on remet. Ça paraît simple dit comme ça, mais c’est très compliqué ! », dit ce jeune graulen, soudeur de premier métier.
La nostalgie du bois
Le savoir-faire au sein des chantiers navals est précieux. Le bois, plus grand monde ne le travaille, à l’heure où ce matériau authentique laisse place au polyester. « J’ai eu un petit accro en sortant d’un amarrage, donc il fallait refaire un peu de menuiserie, de charpente. Et à part eux, il n’y a pas beaucoup de chantiers qui en font », dit ce client, habitant depuis 3 ans sur ce voilier datant de 1942.
Le travail à l’ancienne a ses charmes. Plein de nostalgie, Tintin est désormais décidé à nous faire naviguer dans l’histoire de sa famille : son père, Fernand, d’origine italienne, habitait Sète avant Le Grau-du-Roi. « À l’époque, les Espagnols construisent les maisons, les Italiens pêchent ». En 1946, alors que le port de pêche ressemble encore à une plage, il se laisse convaincre par les pêcheurs du coin de monter son chantier.
« Il n’avait rien, pas un sou, seulement des brics et des brocs, il ne mangeait pas à sa faim. Sa belle-mère lui a prêté 50 000 anciens francs, car aucun pêcheur n’a voulu lui prêter de l’argent », raconte Florentin Spano, qui fêtera l’année prochaine ses 80 ans. Il sort alors un livre regroupant plusieurs photos de l’époque. Depuis son adolescence, il travaille dans ce même atelier aux côtés de son frère et son père. « On ne valait rien à l’école, mon père a dit, ben venez au chantier on vous arrangera. Une fois foutu ça dans la tronche, on ne pouvait plus s’en passer ».
Péniches, péniches hollandaises, voiliers et chalutiers en fin de semaine… Jusqu’à cet été, les quatre personnes faisant tourner cette usine à redonner jeunesse aux bateaux ont du pain sur la planche. À commencer par les barques de la Jeune lance graulenne. D’ailleurs, la légende raconte que personne ici n’a jamais égalé, aux joutes, le palmarès (6 victoires en championnat de France et 2 en Coupe de France) de ce vieux monsieur à la tête du chantier.
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